Pascal LOROT : « La Tunisie doit parvenir à tirer les marrons du feu de la connectivité énergétique entre l’Europe et l’Afrique »

A l'occasion de la tenue, à Tunis, du séminaire sur " la transition énergétique pour un développement soutenable reliant l'Afrique et l'Europe ", organisé par le TABC, nous sommes allés à la rencontre de M. Pascal LOROT, Président de l'Institut Choiseul, un think and do tank indépendant dédié au décryptage des grands enjeux économiques et à la fédération de la jeune génération économique en Europe et en Afrique.

A la tête de l'Institut depuis 2010, M. LOROT nous parlera dans cette interview de la relation entre l'Afrique et l'Europe en matière de transition énergétique et comment la Tunisie pourrait en bénéficier.

Quelle est votre lecture de la situation énergétique actuelle et de la relation entre l'Afrique et l'Europe dans une économie mondiale qui peine à engager sa relance post-Covid, en plus de faire face à une crise énergétique déclenchée par la guerre en Ukraine ?

La conjoncture mondiale, notamment en Europe et en Afrique, a été perturbée par la guerre en Ukraine, dont l'impact a été fort sur l'approvisionnement énergétique. La rupture des livraisons entre la Russie et l'Europe a induit un effet des hausses des prix du gaz, de l'électricité et de l'énergie en plus d'une inflation générale.

La guerre en Ukraine a également conduit à une raréfaction des livraisons des produits agricoles, je pense au blé ainsi qu'à une multitude de produits qui se sont trouvés être plus chers. Cela ades conséquences en Afrique. Les États africains sont largement dépendants des blés ukrainien et russe, ce qui les a confrontés à une situation complexe.

Les problèmes au niveau de l'énergie et des sources d'approvisionnement des matières alimentaires et agroalimentaires ont conduit à une conjoncture très difficile et délicate, avec parfois des croissances négatives dans certaines géographies ou, au mieux, à des tassements d'activité.

L'Afrique est dotée de ressources énergétiques colossales, dont un grand nombre est déjà exploité. L'immense majorité ne l'est néanmoins pas encore, puisqu'on estime qu'i existe de nombreux gisements qui n'ont toujours pas été découverts.

Nous avons toujours le réflexe de penser en termes de pétrole et de gaz mais nous devons aussi considérer les ressources renouvelables, avec le soleil, la géothermie, les ressources hydrauliques par exemple. Ces sources d'énergie plus soutenables sont encore insuffisamment exploitées.

Le marché des énergies renouvelables est d'ores et déjà particulièrement dynamique en Afrique, où il bénéficie d'une baisse de plus en plus prononcée de ses coûts. Le continent africain a à cet égard un rôle stratégique à jouer dans la transition énergétique mondiale.

L'Europe s'est engagée sur la voie de la transition environnementale et énergétique, l'objectif étant de substituer une énergie qui a une grande teneur en carbone, donc productrice d'émissions de gaz à effet de serre, par une énergie décarbonée, comme le solaire, l'éolien et l'hydrogène. Toute cette palette de produits se développe en Europe et s'avère être essentielle à la transition énergétique.

Une coopération énergétique commence à se dessiner entre nos deux continents. Dans le cadre du programme " Global Gateway ", l'UE s'est ainsi engagée à accroître les investissements dans les projets d'énergie propre en Afrique..

Des deux côtés de la Méditerranée, l'énergie verte est une étape clef pour atteindre la neutralité carbone dans le respect des objectifs que se sont fixés les Etats africains et européens. Il n'y a qu'un pas pour concrétiser la complémentarité énergétique entre l'Afrique et l'Europe, qui doivent naturellement s'unir et trouver des modes de financements, de partenariats et de coopérations dans le secteur de l'énergie pour assurer une transition énergétique bénéfique pour les deux continents.

Dans ce processus de transition, comment un pays comme la Tunisie peut-il bénéficier de la transition énergétique envisagée en Europe ?

La Tunisie est un pays qui a toujours attiré des investissements internationaux. On le voit avec le nombre de sociétés européennes implantées sur place.

Le développement d'une base industrielle dans le domaine de l'énergie solaire et éolienne peut être un très bon point de départ dans le cadre de la coopération entre l'Afrique et l'Europe, avec un début de travail commun entre la France et la Tunisie.

Face aux nouveaux enjeux énergétiques, la a Tunisie peut devenir un pont entre les deux continents. Elle commence déjà à jouer ce rôle puisqu'une contribution financière non-négligeable a été entérinée par l'Union européenne au Projet ELMED, qui permettra une interconnexion électrique entre le pays et l'Italie.

Ce hub que peut constituer la Tunisie rapprochera l'Europe et l'Afrique du Nord, avec une liaison électrique renforcée.. Dès lors que le hub existe, un grand nombre d'activités économiques pourront s'y greffer

L'objectif de ce séminaire est la co-construction d'une nouvelle vision dans le domaine de la transition énergétique. Pouvons-nous vraiment aboutir un jour à une connectivité entre les deux continents et quel rôle pourrait jouer la Tunisie dans ce contexte régional avec cette nouvelle route énergétique ?

Nous pouvons souligner le corridor énergétique entre l'Europe et l'Afrique, en plus de la connectivité régionale entre les pays africains.. La Tunisie se trouve également au carrefour de la connectivité nécessaire entre les pays du Maghreb et du Moyen-Orient.

Stratégiquement située sur la liaison entre l'Europe et l'Afrique mais aussi entre l'Afrique du Nord et l'Afrique Subsaharienne, la Tunisie peut se positionner comme maillon essentiel de la nouvelle route énergétique.

En créant un corridor routier, ferroviaire, mais aussi un corridor électrique et gazier en termes de pipe, une vraie connectivité se développera à l'échelle du continent. La Tunisie peut être au cœur de ce réseau en raison de sa géographie et de son ambition politique dans ce domaine.

Le pays a de nombreux atouts, et le fait d'être le carrefour de différentes routes commerciales, énergétiques ou d'investissement est un avantage. Il faut savoir en tirer parti puisque le climat des affaires en Tunisie sera déterminant pour attirer les investissements directs étrangers et créer de la valeur pour le pays..

La Tunisie doit savoir comment tirer les marrons du feu afin de profiter de cette opportunité offerte par la connectivité énergétique entre l'Europe et l'Afrique.

Propos recueillis par Omar El Oudi 

Publié le 06/02/23 12:32